J'AI CHOISI DE ME PLAIRE
"Je n'ai jamais eu d'ambition et je n'aime pas beaucoup les ambitieux. Je n'ai pas cherché à faire carrière, j'étais un peu fainéant. Je préférais aller au café, écouter la radio, visiter des expositions". Artiste peintre discret, photographe de rue et précurseur de génie, Saul Leiter n'a connu le succès que tardivement en plein cœur des nineties. Ses travaux photographiques en couleur des années 60 et 70 dans les rues de New York furent longtemps ignorés, Saul Leiter ayant choisi le silence et la discrétion tandis que, dans le même temps, les critiques négligeaient la couleur sur les photographies, allant jusqu'à la juger vulgaire.(Saul Leiter in my room)
Taiseux, bougon, solitaire et réputé boudeur, tête basse, Saul Leiter puise cette attitude dans son enfance marquée par la déception d'un père à son encontre. Ce dernier, rabbin de son état, espère le même destin pour ses trois fils. Deux seulement prendront cette voie, tandis que Saul, qui a ouvert le yeux sur le monde en 1923 à Pittsburgh, s'en détournera. "Quand j'avais 13 ans, j'ai cessé de croire en Dieu, je suis devenu impossible. Mais j'avais compris que je devais choisir entre lui plaire ou me plaire." Un fils artiste, la honte est telle pour le paternel qu'il en pleure lors de sa première exposition. Refusant le rôle de "juif professionnel" qu'on lui imposait, Saul Leiter quitte l'école théologique, s'installe à New York et commence à fréquenter les expressionnistes abstraits, comme celui qui deviendra son ami Richard Pousette-Dart. Il peint surtout de petits formats, bien souvent abstraits, expose sans grand succès aux côtés de Willem de Kooning ou Philip Guston et parcourt les expositions de la Grosse Pomme.
LA COULEUR, C'EST VULGAIRE
Lorsqu'il ne peint pas, Saul Leiter prend des photos de son quartier. Comme le tirage couleur est cher, il se contente de diffuser ses diapositives en projection chez lui devant un groupe d'ami : "A la fin, on s'applaudissait mutuellement". Les louanges de ses proches restent pourtant bien les seules puisque personne d'autre ne s'intéresse aux travaux de Saul Leiter. Dans les années 50, la tendance est au photojournalisme et à l'image documentaire en noir et blanc. La couleur est associée aux magazines illustrés et à la réclame, le grand Walker Evans dira même qu'elle "est vulgaire". Devenu photographe de mode chez Harper's Bazaar pour gagner sa vie, dans son atelier de Downtown Manhattan, Saul Leiter n'en n'a que faire et travaille encore et toujours la couleur et les cadrages particuliers. Pendant près de quarante ans, il arpente les rues de New York et, dans une démarche de peintre, il capture ses sujets sur le vif avec des clichés aux tonalités particulières et au flou embué et délicat. Il "peint" les sujets en se moquant des règles établies, il agit par instinct, s'amuse du cadrage, des plans et de la profondeur pour laisser le regard du spectateur se diluer dans les différents niveaux de ses photos. Ses diapositives couleurs s'empilent dans des boites, moisissent, brûlent et se perdent au fil du temps...LE SUCCÈS TARDIF
Il faut alors attendre les années 2000 pour que le marché de l'Art s'intéresse aux photos couleur des années 1970 et pour que l'on découvre cette œuvre jusqu'alors méconnue. Indifférent à la gloire, Saul Leiter est un septuagénaire qui ne se prend jamais réellement au jeu et qui refuse de répondre aux journalistes de façon sérieuse "Je ne sais pas comment j'ai pris telle photo à tel moment ni pourquoi. Je ne sais pas si j'ai réussi à faire ce que je voulais : je n'ai jamais su ce que je voulais faire ! (...) Un jour, je m’ennuyais. J’ai pris un rouleau de films couleur. J’ai photographié. Ensuite, j’ai reçu une petite boîte avec des diapositives, et ce que j’ai vu m’a plu. Je trouvais ça intéressant. J’ai toujours été attiré par la photographie couleur, même quand elle n’était pas à la mode."Les expositions s'enchainent, l'Europe et les Etats-Unis s'arrachent ses clichés et la côte de ces derniers augmente considérablement. Eteint à l'âge de 89 ans en 2013, il lègue à la postérité des milliers de clichés et une citation qui définit parfaitement l'homme qu'il était « J’ai passé une grande partie de ma vie à être ignoré. J’ai toujours été très heureux ainsi. Etre ignoré est un grand privilège ». Désormais Leiter, ne sera plus jamais Saul au monde.
YOHANN GLOAGUEN, HOMME D'ART
Autodidacte, Yohann Gloaguen s'est lancé dans la réalisation audiovisuelle à la suite de ses études. Il parcourt les grandes villes du monde et commence logiquement à photographier les lieux qu'il traverse en cherchant à capturer l'atmosphère qui en émane. Captivé par les scènes de vie citadines, l'artiste guette "sans cesse la magie de l'instant".
Admiratif des travaux de Saul Leiter et de Tony Soulié, il travaille exclusivement la photographie noir et blanc imprimée sur aluminium en y rehaussant l'ensemble par des touches colorées qui soulignent certains éléments visuels. Ses coulures réalisées à partir d'encres et de peintures vinyliques ou de vitrail offrent de nouvelles perspectives de lecture à ses œuvres.