La minute art
Gugging, surprenante fabrique d'art brut
- 12/05/2017Depuis un demi-siècle, des artistes souffrant de troubles mentaux travaillent dans le Centre Artistique de Gugging en Autriche. Dans le sillage de Jean Dubuffet, certains d'entre eux sont même devenus des stars de l'Art Brut, faisant de leur foyer d'accueil une fabrique reconnue de ce mouvement si particulier.
Depuis un demi-siècle, des artistes souffrant de troubles mentaux travaillent dans le Centre Artistique de Gugging en Autriche. Dans le sillage de Jean Dubuffet, certains d'entre eux sont même devenus des stars de l'Art Brut, faisant de leur foyer d'accueil une fabrique reconnue de ce mouvement si particulier.
DÉCOUVERTE DE L’ART BRUT
En 1949, Jean Dubuffet, plasticien français de son état, provoque un petit séisme dans le monde parfois si académique de l'Art. Son exposition à la galerie Drouin de Paris est une collection d'œuvres auxquelles personne jusque-là n'avait osé donner ce statut artistiquement noble. Touché depuis plusieurs décennies par le travail d'artistes non-professionnels travaillant bien en dehors des normes esthétiques convenues, restés à l'écart du milieu artistique, ou ayant subi une rupture sociale et psychologique suffisamment puissante pour qu'ils se retrouvent isolés et se mettent à créer, cette exposition est le point de départ et l'acte fondateur de ce que Dubuffet va qualifier d'Art Brut.
"Le vrai Art, il est toujours là où on ne l'attend pas. Là où personne ne pense à lui ni ne prononce son nom. L'Art, il déteste d'être reconnu et salué par son nom. Il se sauve aussitôt. L'Art est un personnage passionnément épris d'incognito. Sitôt qu'on le décèle (…), il se sauve en laissant à sa place un figurant lauré qui porte sur son dos une grande pancarte où c'est marqué Art, que tout le monde asperge aussitôt de champagne et que les conférenciers promènent de ville en ville avec un anneau dans le nez". Cet Art spontané, dénué de tout académisme et références, se voit souvent raccourcir grossièrement en "Art des fous". Pour preuve, parmi les peintures exposées par Jean Dubuffet en 1949, certaines s'imposent immédiatement comme des chefs-d'œuvre. Elles sont signées de la tête et des mains d'Adolf Wölfi et d'Aloïse Corbaz, deux pensionnaires d'établissements psychiatriques suisses.
CENTRE GUGGING, UN REMÈDE ARTISTIQUE
Niché dans des collines boisées, dans un cadre bucolique et verdoyant, à la périphérie de Vienne, le Centre de Gugging conjugue depuis plus d'un demi-siècle les sphères de la psychiatrie et de l'Art, avec un succès spectaculaire. A l'origine, l'hôpital psychiatrique de Gugging témoigne pourtant d'une histoire très sombre. Les premières lignes de son histoire sont dramatiques : pendant la Seconde Guerre Mondiale, les Nazis ont tué des centaines de patients. Une autre époque où l'Allemagne exterminait ses malades mentaux en arguant que leurs vies étaient inutiles...
L'horreur passée, dans les années 1950, le nouveau directeur, Leo Navratil, de façon fortuite, commence à diagnostiquer et traiter ses patients en les incitant à dessiner et peindre. Surpris par les résultats, Navratil entame une correspondance avec Jean Dubuffet qui trouve à travers ces productions un formidable réservoir pour sa collection d'Art Brut. Nourris mutuellement par cette double relation, Dubuffet et le Centre de Gugging se développent de façon exponentielle. Dans les années 1980, Leo Navratil, toujours aussi inspiré, fonde à Gugging un Centre d'Art qu'il renomme la Maison des Artistes. Au cours des cinquante dernières années, les patients-artistes ont produit une étonnante collection de plus de 75 000 œuvres d'art reconnues, dont certaines se sont vendues pour près de 100 000 €. Quelques uns sont devenues des étoiles de l'Art Brut comme August Walla, Oswald Tschirtner ou Johann Hauser. Une galerie commerciale et un musée furent les pierres suivantes du projet, attirant un nombre croissant de visiteurs. L'un d'entre eux était un certain David Bowie, qui a acheté plusieurs œuvres pour sa collection personnelle d'Art. Une trajectoire météorique pour le modeste centre Gugging devenue Mecque de l'Art Brut, bien loin des considérations écervelées initiales des Nazis.
DES ARTISTES, PAS DES PATIENTS
Depuis plusieurs années maintenant, la clinique psychiatrique a fermé, mais la Maison des Artistes elle est restée, et le Centre de Gugging se veut aujourd'hui dénué de toute dimension hospitalière. "Pour nous, les pensionnaires sont avant tout des artistes avec des besoins particuliers, pas des patients" souligne l'actuel directeur Johann Feilacher. "Avec le Créative Growth Art Center d'Oakland (Californie), Gugging est un des rares endroits au monde d'où sont sortis autant d'artistes d'une telle puissance", relève Sarah Lombardi, directrice de la Collection de l'Art Brut. Le secret ? "Un bon suivi sur le plan psychique et de bonnes conditions de travail", confie Feilacher, qui est également artiste et psychiatre. Aujourd'hui, ils sont 15 au total, âgés de 23 à 81 ans, comme Alfred Neumayr et Karl Vondal, à élaborer des productions dans un vaste atelier donnant sur les collines environnantes "mais ils n'ont pas tous le statut d'artistes. Ce qu'ils produisent doit être très particulier pour être reconnu comme de l'art. Certains se révèlent tardivement, d'autres jamais". Qu'importe, les motifs de satisfaction sont nombreux, autant pour les artistes comme le souligne Johann Garber, 70 années au compteur, "J'aime partager mon Art. Je suis heureux de dessiner. Ici, nous sommes de bons peintres et dessinateurs, et nous sommes contents d'avoir un lieu où nous pouvons vivre et dessiner" que pour l'Art Brut en général reconnu à part entière, hors de tout effet de niche. "L'Art Brut n'a rien de secret ni de romantique, il n'est ni meilleur ni moins bon que les autres formes d'art. L'important, c'est la qualité des œuvres, peu importe qui en est l'auteur", estime Sarah Lombardi.
"Art Brut d'hier et d'aujourd'hui" (Art Brut gestern und heute) est le thème de l'année 2017. Depuis le 26 janvier, le Musée Gugging présente l'exposition "L'Art Brut de Jean Dubuffet ! Les débuts de sa collection". Une exposition consacrée aux origines de l'Art Brut et présente des productions célèbres et inconnues de la collection de Dubuffet. A partir du 19 juillet prochain, l'actualité de l'Art Brut occupera le devant de la scène : les deux artistes du Gugging, Johann Garber et Karl Vondal transforment le Musée en leur atelier, invitant les visiteurs à contempler leurs œuvres et à les regarder peindre. Enfin, des œuvres d'artistes du Gugging sont également présentées jusqu'au 11 juin à l'exposition "Psycho Drawing" au musée Lentos de Linz. Une mise à l'honneur immense pour un Art et des artistes, prouvant qu'aussi torturée, insensée ou singulière soit elle, une vie n'est finalement jamais inutile.
ALEX'N, PRÊTE POUR L'ART BRUT
Native des Cevennes, Alex'n baigne depuis toujours dans une ambiance artistique. Après avoir longtemps cherché sa voie et son style, elle trouve ses influences dans le street art et l'Art Singulier. Elle voit dans ces courants artistiques inclassables un écho à sa fantaisie et à son désir d'exprimer ses émotions. Alex’n affermit d’abord sa maîtrise de toutes les techniques et tous les styles avant de se sentir prête pour l’Art Brut. En 2002, elle imagine ses "bonhommes cailloux" : personnages stylisés aux têtes carrées. Elle souhaite créer un personnage à faire évoluer au fil du temps. Elle invente des familles de personnages, des animaux maladroits, qui lui permettent de raconter des scénettes inspirées du quotidien où se mêlent humour et poésie. Les personnages humains permettent à chacun de s’identifier facilement. Les scènes d’animaux proposent de pousser l’humour jusqu’à l’absurde. Au-delà des histoires, le travail d'Alex'n propose avant tout un travail sur la matière et les couleurs.