AU NOM DE LA FEMME MODERNE
Loin d'être un caprice saugrenu d'un enfant terrible qui rejette sans aucune raison son milieu d'origine, il développe une réflexion poussée sur la femme, le monde qui l'entoure, ses codes et son époque.
Il comprend alors que la clé de voûte du succès, c'est de s'adapter plutôt que de s'imposer.
Disciple du prodigieux Christian Dior, il prend cependant le contre-pied de son mentor et de toute l'industrie qu'il représente pour s'imposer comme le créateur d'une nouvelle ère.
L'école de pensée de Dior est simple : la femme est immobile, elle subit, et doit s'adapter au vêtement qui est rigide voire carré.
L'approche de la couture d'Yves Saint Laurent s'y oppose et il décide que la "femme objet" ne doit plus être et que le vêtement s'adaptera dorénavant aux courbes de la femme moderne.
Egale de l'homme, elle peut s'habiller comme lui, en smoking ou en pantalon, et Saint Laurent libère leur gestuelle pour en faire des femmes indépendantes, la traduction de l'ambiance de cette époque.
"On a souvent dit que Chanel avait libéré les femmes. C’est vrai. Des années plus tard, Saint Laurent devait leur donner le pouvoir."
En plus de libérer les femmes et de leur donner le pouvoir, Yves Saint Laurent démocratise la mode.
Il ouvre les portes, jusqu'alors scellées, des grandes maisons de luxe pour y faire entrer le souffle et l'inspiration de la rue.
Les riches clientes ou les bourgeoises sont bien trop figées pour le mouvement que souhaite insuffler le couturier.
Pour celà il s'inspire des vraies gens pour définir le style de la femme moderne et active.
Précurseur et couturier pop, il suffit de jeter un œil sur les vitrines des magasins de vêtements actuels pour comprendre qu'ils sont en droite lignée avec l'héritage d'Yves Saint Laurent.
YVES SAINT LAURENT ET L'ART
Entre couturiers et artistes, des complicités sont nées, qu'elles soient proches ou lointaines, esthétiques ou conceptuelles.
Par exemple, le peintre Raoul Dufy a dessiné près de 5000 imprimés pour le couturier Paul Poiret au début des années 1910, Elsa Schiaparelli a collaboré avec Salvador Dali pour ses premières collections ou Balenciaga s'inspirait des tableaux de Goya.
Yves Saint Laurent reste néanmoins le couturier qui a osé aller plus loin.
Sa passion pour l'Art se retrouve rapidement sur ses robes puisqu'il s'inspire des artistes qu'il admire pour faire transpirer leurs œuvres sur ses tissus.
L'Art et la haute couture possèdent de nombreux points communs comme l'argumente Pierre Bergé :
« Des tensions entre les lignes et les surfaces, des aimantations entre la couleur et la lumière, des enchaînements entre la pose et le mouvement […] Le goût et l’acuité visuelle trouvent dans certains gestes, tels que peindre et coudre, la même expérimentation de la ligne, une même justesse dans le maniement des contrastes entre les matières et les volumes. »
(La robe Mondrian Yves Saint Laurent)
Trois ans après avoir ouvert sa propre maison de mode, celui que l'on surnomme "Le Roi de Paris", va avoir un éclair de génie en reproduisant les couleurs et les jeux de lignes des toiles de Piet Mondrian sur ses robes.
Cette collection automne-hiver de 1965 éblouit le monde entier et lance le début du dialogue que souhaite instaurer YSL entre l'Art et la mode.
D'autres collections suivront comme le défilé "Pop Art" en hommage à Andy Warhol, des robes inspirées de Matisse (1980) ou les Iris et les Tournesols de Vincent Van Gogh (1988).
La même année, en 1988, Picasso et Braque s'animent sur les découpes de tissu tandis qu'en 1967 c'est l'Art Africain qui trouve sa place dans la collection "Bambara".
Affublé du surnom de "peintre de la vie moderne" par son compagnon Pierre Bergé, Yves Saint Laurent, en plus d'être un passionné invétéré d'Art, était un grand collectionneur. Commencée dans les années 1950, elle rassemble des centaines de pièces d'Art allant de toiles de Matisse ou Picasso, aux sculptures antiques égyptiennes et aux émaux de Limoges datant de la Renaissance.
« Je ne collectionne pas, j'accumule. Ce sont des pulsions naturelles (…). J'ai de la chance : j'ai souvent trouvé les plus beaux objets en passant, la nuit, devant une vitrine. » déclarait YSL en 1986.
La collection fut mise en vente par Pierre Bergé à la suite du décès de Saint Laurent en 2008, et, le résultat de la vente atteignit près de 375 millions d'euros.
Pape de la haute-couture, créateur de son époque et proche du milieu esthétique, Yves Saint Laurent est un génie unique en son genre, dessinant sur ses robes comme un artiste sur ses toiles, qui près de 50 ans après avoir mêlé les deux milieux, récolte encore les fruits de son héritage.
KARL GUSTAVSEN, ARTISTE-STYLISTE
Karl Gustavsen a obtenu son diplôme de l'Ecole de la Chambre Syndicale de la Haute-Couture de Paris en 1991 puis devient styliste pour les grands couturiers internationaux comme Angelo Tarlazzi, Karl Lagerfeld ou Andres Sarda.
Après avoir exercé ce métier pendant plusieurs années, il se consacre à son activité artistique en 1990.
Il investit sa toile par de grands aplats de couleurs et il emprunte la géométrisation des formes au style Art Déco et au graphisme japonais.
Ses "papiers collés" rappellent le cubisme de Picasso, Gris et Braque.
Ses gracieuses figures stylisées rappellent les patrons de haute couture.
Une couleur lui suffit parfois à faire naître un sujet.
Il sculpte la matière en jouant sur l’imbrication des formes et l’association des tons.