🎄 Le cadre, c'est cadeau avec le code : CADREOFFERT2024 🎄
Livraison gratuite en galerie - Retours prolongés jusqu'au 19.01
Rechercher
Favoris
Panier
Carré d'artistes - Le blog
Inspirations, découvertes et dernières actualités du monde de l'art et de nos galeries.
Actualités

De la prison à l'art

- 03/10/2022
Peter Echtermeyer devient aumônier de prison en Allemagne en 1989. Après dix ans passés auprès de détenus, dans les mêmes conditions, mais avec le confort de rentrer chez lui auprès de sa famille le soir, il devient représentant d'une association qui agit dans toutes les prisons du monde. En déplacement la moitié de l'année, il est amené à découvrir les disparités du traitement des détenus d'un pays à l'autre et cherche à sensibiliser le public sur ce sujet, mais cherche encore comment se faire entendre. C'est enfin en 2009, profondément ému de la réaction du public face à une première exposition d'oeuvres faites par des détenus, qu'il réalise que l'Art fournit le meilleur des dialogues, c'est un langage universel, sans les mots il véhicule des émotions, des peurs et des espoirs.C'est ainsi qu'il fonde Art and Prison. Cette association organise des concours d'art tous les deux ans, faisant participer des détenus du monde entier. Ces oeuvres sont un témoignage poignant et porteur d'un message d'humanité et sont régulièrement exposées au public. 

En savoir plus sur la prochaine exposition du 12 octobre au 7 novembre à Marseille.
 

Interview de Peter Echtermeyer, fondateur Art And Prison

  1. Qui êtes-vous et quelle est votre histoire ?
Je m’appelle Peter Echtermeyer, je suis allemand, j’étais aumônier de prison pendant 10 ans (1989-99). Je travaillais dans la prison de haute sécurité de Celle, dans le nord de l'Allemagne, où 300 hommes étaient détenus. Je ne travaillais qu'en prison. C'était une période difficile, qui impactait ma vie de famille, car ma femme et mes deux enfants me demandaient : "Quand vas-tu retourner en prison ?" 
A cette époque, je n’étais pas tout à fait conscient de ce qu’était la vie d’une personne libre.

En 1999, j'ai été élu représentant de la International Commission of Catholic Prison Pastoral Care (ICCPPC). Là, j'ai beaucoup voyagé, dans de nombreux pays, surtout en Europe [...]. C'était une période très intéressante pour moi, je parlais beaucoup de mon expérience et de ce qui se passait en prison. Nous voulions élever le niveau du traitement des détenus dans les différents pays, pour le rendre plus humain. Pendant dix ans, je travaillais en prison à mi-temps, tout en voyageant le reste du temps pour accomplir ces missions. Lorsque je parlais de la situation en prison, les gens s’intéressaient, mais j’ai réalisé qu'ils ne comprenaient pas vraiment ce qu’il s’y passait, ce que je voyais. 
C'est là que l'Art entre en jeu !

Nous avons organisé un concours d'art à Rome, au cours d’un congrès dans l'église de Sainte Marie du Peuple. Cela a donné lieu à une exposition de peintures du monde entier, qui a étonnamment amené 5 000 personnes à voir ces quelque 300 œuvres. C'était suffisant
pour créer une organisation uniquement sur ce sujet : l’art et la prison. Nous avons donc fondé l'association Art and Prison à Berlin. 
Je suis le président et le fondateur de l'association. Art and Prison n'est pas une organisation confessionnelle, elle est destinée à tout le monde ; elle compte 50 personnes, dont Inga Lavolé-Khavkina et Bruno Lavolé, que j'avais rencontrés cette année-là.
  
Après 33 ans, j'ai cessé de travailler en prison. J'ai maintenant 67 ans et je continue à organiser d'autres expositions, dont trois à venir : une en France cette année (organisée par Art et Prison), une à Vaduz au Liechtenstein en 2023, et une à Rome en 2025.
D'autres versions de l'organisation ont été créées en France (Art et Prison de Bruno Lavolé) et en Pologne. Bruno Lavolé souhaite également créer un projet européen.
 
Douze ans après avoir fondé Art and Prison, nous avons déjà organisé des expositions dans de nombreux pays, de la France (à Marseille, Saint Nazaire, Strasbourg) à la Nouvelle Zélande. Chaque pays est différent, il y a des mentalités différentes selon les pays. En France, c'est très particulier.
  1. Qu'est-ce qui est si particulier en France ?
 La laïcité est unique à la France. On ne peut pas amener Jésus, Bouddha ou toute autre représentation religieuse en prison. En revanche, l’opinion est plus ouverte au traitement humain des délinquants en prison. La France est référente en matière de droits de l'homme, contrairement au traitement des prisonniers aux États-Unis ou au Canada, où l'on parle plutôt d'une "industrie carcérale", ce que l'on peut d’ailleurs ressentir à travers les peintures issues de ces pays. Dans l'exposition, à travers les peintures, les formes et les couleurs, on peut voir et expliquer certains aspects culturels des différents pays.
 
  1. Quelle est la mission d'Art and Prison ?
Sa mission est de donner une voix aux personnes, femmes, hommes, mineurs, qui n'en ont pas parce qu'elles sont mises à part, incarcérées. Elles sont en prison pour un temps, court ou long, pour des semaines, des mois, des années... Mais ce n'est pas seulement pour les détenus, c'est aussi pour leurs familles. Ils ont des enfants, des parents, des beaux-parents, ils sont mariés... C'est toute une partie de la société qui est concernée.
Il s'agit également de donner une voix à travers cette forme d'art, que les détenus peuvent utiliser pour raconter une histoire à propos de leurs désastres et de leurs espoirs d’une nouvelle vie.
 
Par exemple, cette peinture a été réalisée par un détenu polonais, un condamné à perpétuité. Lorsqu'il a gagné le concours d'art, il a utilisé le prix de 1 000 euros pour que sa mère puisse assister au vernissage à Vaduz, au Liechtenstein.
 
  1. Pourquoi avoir voulu soutenir les détenus ? Y a-t-il eu un déclic dans votre vie, était-ce quand vous étiez aumônier de prison ?
 J'ai vu beaucoup de prisons dans ma vie. J'ai été dans des cellules. Les émissions de télévision ne sont pas fidèles à ce qu’il se passe réellement dans le monde carcéral.
La première fois que je suis entré dans une prison, c'était en 1988. Quand la porte se ferme et que vous n'avez pas la clé, c'est un sentiment particulier... J'étais préparé, j'avais étudié la philosophie, la théologie et un peu de psychologie pendant un an. Mais quand je suis entré, j'avais encore beaucoup de préjugés à l'égard des détenus. Je pensais qu'ils étaient de mauvaises personnes. Mais qu’est-ce qu’une mauvaise personne ? En tant qu'aumônier, parlant de la religion et de Jésus, je finis par réaliser qu'il était lui-même un détenu en son temps, un "criminel" dans la société, un condamné à mort sur une croix.
Moving nut - Radek
Moving nut - Radek (Pologne) | Huile sur toile

J'ai parlé avec de nombreux hommes en prison. J'ai eu des conversations personnelles, avec l'avantage que je devais tout garder pour moi, donc ils m'ont beaucoup parlé. Il y avait aussi des réunions de groupe et les services religieux que j’assurais. Il était très important pour moi de pouvoir puiser de la force dans la conviction que personne n'est une cause perdue et que tout le monde a un avenir. A ce moment-là, j'ai reçu bien plus que ce que je n'avais apporté.
J'ai également dû réaliser que chacun est différent, personne n'est comme l'autre. Notre vie ne devrait pas être réduite au crime que nous avons commis. [...]
Si vous regardez les statistiques mondiales recueillies par le London Institute of Criminal Studies, plus de 2 millions de personnes sont incarcérées aux Etats-Unis, soit le taux d'incarcération le plus élevé au monde : 629 pour 100.000 personnes (à titre de comparaison, le taux de la France métropolitaine est de 119).
Mais les gens sont-ils plus mauvais aux Etats-Unis qu'en France ? Les statistiques ne nous donnent pas cette information. Mais il est indéniable que c'est la société qui est responsable quand elle met quelqu'un en prison. 
Ma conviction personnelle est que nul n'est perdu et que justice sera rendue dans l’au-delà, mais il n'en reste pas moins qu’elle doit aussi être rendue sur terre, et je contribue, avec beaucoup d'autres personnes, pour qu’elle le soit de la meilleure façon possible.
 
  1. Qu'ont dit vos proches lorsque vous avez décidé de soutenir cette cause ? Et que disent-ils maintenant ?
 
C'est une question intéressante parce que je ne me souviens pas d'une quelconque réaction. Ma famille était tellement impliquée que j'ai dû séparer ma vie familiale de ma vie en prison. J'ai essayé d’éviter de faire entrer les histoires de meurtriers et les affaires criminelles en maternelle. C'était une vie normale, et j'ai toujours très bien dormi. C'était ma force, je pouvais cloisonner ma vie. Je ne recevais pas non plus de visites liées à mon activité chez moi. J'ai dû poser des limites à mon engagement. 
 
Lorsque j'ai créé Art and Prison, je me suis surpris. Voyez-vous, je parle beaucoup, les gens entendent, ils ont une certaine satisfaction de voyeurisme mais je ne suis pas un homme de foire. Comme tout le monde, j'ai besoin de temps pour moi, de calme, pour récupérer. L'art, en quelque sorte, m’enlevait cette obligation de raconter : je n'avais pas besoin de parler. L'art parle de lui-même et transmet un message. Contrairement à l'époque où je parlais, présentais, prêchais, et où je me demandais si tout cela servait à quelque chose, l'art était compris. 
 
Quel résultat ? Après 12 ans et environ 40 expositions, dans différents pays, la réaction des gens est similaire, quel que soit le contexte, que ce soit dans des musées, écoles, ministères de la justice, galeries d'art… Ils sont touchés, ils ne s'attendent pas à ce que de telles choses viennent de la prison. Il y a de l'humour, de l'espoir, même de la joie parfois, exprimée avec de belles couleurs. Je pense que les réactions ont été très positives.

RE-LAX - Karel (République Tchèque) | Huile sur toile
  1. Pouvez-vous voir un reflet de la société dans ces tableaux ? Qu'est-ce qu'il nous apprend ?
À bien des égards, la prison est un miroir de la société.
C'est intéressant ce que l’on reçoit en ce moment car, avec la guerre en Ukraine, les Européens aspirent à la paix, et la haine des gens est moins dirigée vers les détenus et cette partie de la société. Ça semble être le moment idéal pour apporter un peu de paix dans notre société, surtout en Europe. Diminuer la haine des uns envers les autres, arrêter la spirale de la  violence. On se demande comment faire entendre la voix de la réconciliation plutôt que le désir de vengeance ? Les peintures de l'exposition peuvent amener à ce type de discussion.
 
Pistes de réflexion : parfois, nous recevons des œuvres d'art de personnes condamnées à mort et, lorsqu'elles arrivent entre nos mains, la personne est déjà morte aux États-Unis. Mais d'un autre côté, il arrive que l'auteur du tableau ait été libéré lorsque son œuvre nous parvient. Dans tous les cas, mort, vivant et/ou libre, quelque chose subsiste, même si ce sont des histoires bien différentes.  
 
  1. Comment les détenus réagissent-ils lorsqu'ils se livrent pour la première fois à la pratique artistique autour d’Art and Prison ? Lorsqu'ils exposent leurs œuvres ?
Parfois, ils ont juste un crayon, parfois ils se prennent pour Michel-Ange et croient tout savoir [rires]. Parfois, ils peignent pour la première fois, mais ils se perfectionnent avec le temps et ne s'arrêtent jamais[...]. Les réactions sont tellement personnelles face aux thèmes imposés et aux idées qui sont évoqués. Il y a beaucoup de différences. En revanche, il y a très peu de peintures abstraites, elles sont surtout très concrètes.
 
  1. Comment réagissent les visiteurs des expositions ? 
Le jugement et les préjugés sont presque toujours au rendez-vous : certains disent "ces gens ne devraient pas peindre, ils doivent simplement rester en prison, et souffrir". Cela arrive très souvent. Ils m'en veulent aussi d'avoir porté la lumière sur ces peintures et de les avoir montrées au public. C'est une des réactions possibles.
Mais il y en a d'autres : ils sont étonnés, surpris... Ils réalisent que les gens peuvent avoir des activités variées en prison, comme la musique ou le Théâtre. Ils sont comme nous. Personne ne peut être certain de ne pas se retrouver un jour en prison. La sensibilisation est importante.
Il y a aussi des “collectionneurs". Ils veulent trouver le prochain Picasso - et nous en avons ! Cependant nous ne vendons pas les œuvres, sauf si nous obtenons un prix très important qui pourrait financer des activités de l'association. Mais je n'ai pas le temps de spéculer avec l'art. 
Je suis heureux que Carré d’Artistes nous aide à faire connaître notre initiative et à renforcer la visibilité d’Art and Prison grâce à son important réseau international de galeries. La localité de Marseille est également un choix intéressant par rapport à certaines problématiques de criminalité qu’elle a pu connaître.
  1. Ce doit être difficile pour vous de voir la différence de traitement dans les prisons du monde entier
Parfois, c'est un peu dur de regarder ce qui se passe en Iran, en Chine ou au Texas avec la peine de mort. C'est cruel, mais ce ne sont pas les circonstances auxquelles j’ai été le plus confronté.  Ce qui m'est le plus difficile, c'est quand souvent, il ne s'agit que de petits criminels, qui ne devraient pas être en prison. Ils ont volé, ils n'avaient pas d'argent, ou ils n'ont pas pu payer leurs impôts et ils finissent en prison. Ça ne me semble pas nécessaire. De même, certaines femmes devraient recevoir des médailles au lieu d'aller en prison, elles ont des histoires déchirantes où elles ont été agressées par des membres de leur famille. Il y a aussi des enfants qui naissent en prison, et c'est un sujet dont personne ne parle. Ces enfants commencent leur vie en prison. En Afrique du Sud, une femme m'a montré son bébé à travers les barreaux[...]. J'ai aussi de nombreuses histoires de femmes qui ont accouché menottées aux États-Unis. Il fait 39 degrés en ce moment en Allemagne (04 août 2022). Pouvez-vous imaginer, en ce moment, avec ces températures très chaudes que nous connaissons, ce qu’il se passe dans les cellules de prison en Jamaïque où on ne peut pas ouvrir une fenêtre ? Il fait 50 degrés dedans, quand j'en ai fait l'expérience, après 10 minutes, je me sentais mort de l'intérieur. J'ai également eu un choc lorsque je suis allée à Manille, dans une prison de 5000 personnes, sans climatisation, où il faisait 40 à 50 degrés chaque jour, où les détenus mouraient de faim dans leur cellule. J'ai des amis qui travaillent dans le monde entier, au Tchad, en Syrie, à Madagascar, en Tanzanie. La chaleur y fait aussi beaucoup de dégâts.

Sur une toute autre note, il y a de merveilleuses prisons en Norvège et en Suède, où la liberté s’imagine à l'intérieur. Ils sont traités comme des êtres humains et pas seulement comme des criminels, donc c'est possible.
  1. Si vous deviez résumer le rôle d'Art and Prison en 3 mots, quels seraient-ils ?
De l'espoir pour les détenus
Des mesures pour réinsérer les gens dans la société
Plus d'humanité dans la société. Nous devons traiter les gens avec dignité, comme des êtres humains.
Il faut plus qu’un traitement de base : des normes d'hygiène, bannir la torture, l’exécution, des normes humaines pour être traité comme des êtres humains.
 
  1. Quels sont vos souhaits pour l'avenir de l'association ?
De survivre. Je serais très heureux que cette association, avec de nombreuses personnes et œuvres d'art impliquées, continue et fasse partie de la société à un niveau international. Certaines initiatives rendront cela possible. Ces œuvres ne doivent pas tomber dans l’oubli.

Vol vers l'espoir - Samie (France) | Technique mixte sur papier
Unique art for...

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de Cookies pour vous proposer des publicités ciblées adaptées à vos centres d'intérêts et réaliser des statistiques de visites.