Cindy Sherman, focus sur une photographe emblématique
Peintre puis photographe, New-yorkaise dans l’âme et égérie de la famille Vuitton à partir de 1968, l’artiste emblématique d’un art conceptuel au service du féminisme n’a de cesse de remettre en question l’image et la place de la femme dans la société occidentale. En se jouant constamment de stéréotypes qu’elle détourne et parodie, son œuvre fascine autant qu’elle dérange parfois.
La genèse d’une photographe protéiforme
Les premières années
C’est le 19 janvier 1954 que la jeune Cindy voit le jour, à Glen Ridge dans le New Jersey. Petite dernière d’une fratrie de cinq enfants, dont le plus jeune a déjà neuf ans de plus qu’elle, elle développe dès l’enfance un fort sentiment d’isolement. D’aucun voudront y voir les racines d’une sensibilité qui se développera ultérieurement dans son art.La jeune fille grandit sur l’île de Long Island, à Huntington. Avec l'arrivée de l'adolescence, les questionnements liés à l’apparence deviennent prégnants pour elle et nourrissent déjà une démarche identitaire qui marquera par la suite l’ensemble de son oeuvre.
Les années de formation
New-yorkaise depuis sa naissance, c’est tout naturellement que Cindy s’oriente vers des études artistiques qu’elle entreprend 1972 à l’Université d’État de New York à Buffalo. Tout d’abord intéressée par la peinture, elle peine cependant à trouver sa voie au travers des limites de cette technique qu’elle juge trop traditionnelle. Diplômée en 1976, elle se fixe à Manhattan et se tourne vers la photographie, medium de l’art conceptuel grâce auquel elle va développer son esthétique, à l’instar d’un Marcel Duchamps ou d’un Sol LeWitt.
Ainsi, dès 1977 elle commence à produire sa première série photographique, Untitled Film Stills, qu’elle mènera à son terme en 1980.
Cindy Sherman : démarche artistique,
productions majeures, engagement
La photographie au service de la représentation de soi
Sherman est son propre modèle. Toutefois, bien loin de céder à un narcissisme nombriliste, elle s’empare de la tradition de l’autoportrait et le renouvelle pour en faire non plus une fin en soi mais un véritable outil au service de son discours esthétique.
La démarche de l’artiste s’appuie très largement sur la mise en scène. Par un jeu calculé de métamorphoses, et grâce à tout un attirail de costumes, de perruques ou bien de maquillage, Cyndi narrativise l’évolution du personnage qu’elle se crée au travers d’une série de clichés. Elle emmène de ce fait subrepticement son spectateur dans la direction qu’elle s'est fixée dès le début.
C’est dès ses années d’études universitaires que Sherman développe cette stratégie fictionnelle au service de son art. Un exemple flagrant en est sa production intitulée Untitled #479, une série de 23 photographies argentiques coloriées à la main et réalisée en 1975 qu’elle considère comme « son premier travail sérieux ». Cette série est en fait un travail effectué dans un cadre universitaire à l’initiative d’un de ses professeurs sur la thématique de la fuite du temps. Elle emprunte la forme cinématographique du storyboard et montre, au travers de la suite de clichés, selon ses propres termes, « la métamorphose d’une fille ordinaire à lunettes en femme fatale fumant une cigarette. ». Le titre, ou plutôt l’absence de titre, exprime quant à lui la totale liberté de lecture et d’interprétation dévolue au spectateur.
La reconnaissance et les productions majeures de Cindy Sherman
Ses premières séries datent de ses années de formation universitaire et sont déjà en elles-mêmes tout à fait remarquables. On retiendra notamment :
- Bus Riders, où elle interprète les passagers d'un bus.
- Murder Mystery, série dans laquelle elle joue littéralement le rôle de plusieurs personnages, parties prenantes d'une intrigue policière
- Untitled Film Stills, série qui la révèle au public et dans laquelle elle bouscule les archétypes féminins distillés par les médias et la pop culture des années 70-80.
- Rear Screen Projections en 1980
- Fashion entre 1983 et 1994
- History Portraits/Old Masters de 1988 à 1990
- Clowns de 2003 à 2004
Cindy Sherman, une photographe engagée
Ses œuvres sont souvent étiquetées « féministes ». Bien sûr, l’artiste, qui a toujours travaillé à déconstruire les cases et les schémas établis, rejette cette appellation à laquelle elle refuse d’adhérer. Néanmoins, on ne peut nier dans son travail un engagement certain, et quelle que soit la manière dont on voudra le répertorier.
Cindy Sherman s’attache à bousculer, voire à démolir, les clichés sexistes et misogynes véhiculés, souvent inconsciemment, par notre culture. En posant le doigt sur telle ou telle situation dérangeante dans laquelle sont convoquées des représentations du féminin qu’elle considère inappropriées ou dégradantes, la photographe souhaite amener son spectateur à questionner ces stéréotypes qui polluent parfois un quotidien estimé par beaucoup comme acquis.
De nombreuses marques comme Balanciaga, Vuitton, dont elle a été l’égérie et qui lui a consacré une très belle rétrospective en 2020/2021, ou encore MAC, n’ont ainsi pas hésité à solliciter l’artiste.